CHAPITRE XIII

— Cette brute aurait pu vous tuer, maîtresse, dit Vergere dans la langue secrète de la secte de la duperie tout en soignant les blessures d’Elan.

La prêtresse se regarda dans le miroir que Showolter lui avait fourni.

— Je ne craignais pas pour ma vie, mais pour le développement des bo’tous. Les coups de cet abruti auraient pu endommager les porteurs ou retarder leur croissance.

— Ont-ils survécu ? demanda Vergere.

Avec un sourire mauvais, Elan passa une main sur son torse.

— Je les sens grandir. Ils me parlent. Ils guettent les quatre exhalaisons qui les libéreront. Je perçois leur impatience.

— La leur, ou la vôtre ? demanda Vergere.

— Quand je déchaînerai leur toxine, grande sera ma récompense ! Mon exploit atteindra peut-être les oreilles du seigneur suprême Shimrra en personne !

— C’est certain, assura Vergere. Pourtant, les membres de votre domaine en profiteront, pas vous.

— Tu as si peu confiance en Harrar ? Tu ne crois pas qu’il nous sauvera quand j’aurai éliminé les Jedi ?

Les plumes de la nuque de Vergere se hérissèrent.

— Il fera de son mieux pour vous localiser. Mais nos mouvements ne seront pas faciles à suivre après l’attaque de l’assassin. Showolter nous promènera un peu partout avant de nous cacher si profondément dans l’espace de la Nouvelle République que Nom Anor ne pourra plus nous repérer.

Le major Showolter s’était gardé de révéler le nom du monde où elles avaient été transférées. A son arrivée, Elan avait aperçu une étrange forêt impénétrable. D’après les conversations qu’elle avait surprises, la planète avait au moins une ville, mais loin du lieu où Vergere et elle étaient détenues.

Elan caressa le dos duveteux de Vergere.

— Si mon devoir exige ma mort, qu’il en soit ainsi. Mon domaine prospérera. Mon père sera élevé au rang de plus-grand-prêtre.

— Et Harrar prospérera aussi.

— Cela ne nous concerne pas.

Vergere croisa les bras.

— Je resterai près de vous, maîtresse.

Elan toucha les meurtrissures que les mains de l’assassin avaient laissées sur son cou.

— Je connais le tueur qu’Harrar a envoyé. Il a suivi son apprentissage chez les Shai.

Vergere pressa les mains sur ses yeux, y recueillant des larmes qu’elle appliqua sur le cou meurtri d’Elan.

— La secte à laquelle appartenait Shedao du Domaine Shai ?

— Oui. Le Domaine Shai se délecte de la douleur, la sienne comme celle qu’il inflige. Pour les Shai, rien n’est plus grand que le tourment, l’« Etreinte de la Douleur ». La souffrance est le début et la fin de tout. (Elan soupira de soulagement.) Tes larmes sont rafraîchissantes, ma chérie.

— Harrar voulait convaincre nos ennemis de votre importance. Et il a bien choisi. Il vaut mieux que la Nouvelle République croie les Yuuzhan Vong intraitables et déraisonnables.

Vergere aurait pu être le produit du talent des Yuuzhan Vong pour les manipulations génétiques. En fait, ces créatures exotiques étaient originaires de la galaxie envahie. Deux générations plus tôt, une des premières équipes d’exploration avait ramené cette espèce à bord de ses vaisseaux-mondes. Des dizaines de spécimens avaient été capturés : des humains, des Verpine, des Talz… La plupart étaient morts après les tests, ou sacrifiés. Certains avaient été offerts comme animaux domestiques à des enfants de l’élite, comme Elan, la fille cadette d’un conseiller du seigneur suprême Shimrra. D’aucuns pensaient que Vergere était unique et, en un sens, sacrée. Pendant les longues années d’apprentissage d’Elan au sein de la secte de la duperie, Vergere avait été sa compagne, sa confidente, son amie… voire son professeur.

— Es-tu contente d’être revenue parmi les tiens ?

— Ce ne sont pas les miens, maîtresse.

— Parmi les espèces de ta galaxie d’origine.

— Les Fosh n’y ont jamais été à leur place. Nous étions trop peu nombreux. Les humains se sont répandus partout, entraînant l’extinction d’espèces comme la mienne, trop timorées pour se défendre.

— Mais tu adores leur nourriture.

— Ça, c’est une autre affaire ! admit Vergere avec un éclat de rire.

— Tu pourrais révéler la vérité à Showolter et retourner chez les tiens.

Vergere prit la main tatouée d’Elan et la serra.

— Je suis votre familière. Sans vous, j’aurais été sacrifiée. Nous sommes liées à la vie, à la mort.

— Pourtant, tu connais les espèces de cette galaxie mieux que Nom Anor en personne.

— Non. L’Exécuteur s’est donné pour mission de les étudier. Les Fosh ont toujours été plus désireux de se cacher que de connaître les autres espèces.

— L’intervention de l’assassin a levé certains doutes dans l’esprit de Showolter.

— Celui-là est très accommodant.

— Vous l’avez charmé, comme à votre habitude.

Elan sourit.

— J’aurais dû me douter que tu dirais ça. Penses-tu qu’on me laissera voir les Jedi ?

— Il est trop tôt pour le savoir, maîtresse. Si le commandant Tla est assez aimable pour céder le terrain à la Nouvelle République, vous arriverez peut-être à les rencontrer.

— Connaissais-tu leur existence quand tu vivais dans cette galaxie ?

— Oui. Ils étaient nombreux, jadis. Apprendre qu’il en restait si peu m’a surpris… Merci de ne pas avoir parlé de mon passé à Harrar.

Elan sourit.

— As-tu vu les Jedi employer la Force ?

— Ils considèrent qu’elle vibre partout autour de nous, imprégnant toute chose. En ce sens, oui, j’ai été témoin du travail de la Force.

— Les Yuuzhan Vong devraient apprendre à l’utiliser.

— C’est une arme à double tranchant, maîtresse. Laissez votre esprit dériver et tout est à refaire… Il serait bon que les Yuuzhan Vong aient conscience de la Force, mais tous ne seraient pas capables de s’en servir. Elle est réservée aux guerriers compétents qui savent frapper au bon moment.

Des escadrons d’ailes X T-65A3, d’ailes E et d’intercepteurs Tie sortirent du hangar de proue de l'Erinnic, un destroyer impérial orbitant entre les lunes jumelles d’Ord Mantell.

— Que la Force soit avec vous, répondit le vice-amiral Ark Poinard dans l’intercom de commandement.

Du coin de l’œil, il vit le sourire amusé du général Yald Sutel, un ancien adversaire devenu un allié contre les Yuuzhan Vong.

— Des problèmes, général ? demanda Poinard, levant un sourcil blanc broussailleux.

— Je n’ai pas l’habitude de vous entendre m’appeler ainsi !

Poinard ricana.

— En dépit des apparences, je vous ai toujours tenu en haute estime.

Les mains dans le dos, les deux vétérans avancèrent sur la passerelle. Histoire de ménager les susceptibilités de la Nouvelle République et celles des Vestiges de l’Empire, Poinard avait gardé son titre honorifique de capitaine du vaisseau amiral, Sutel étant nommé commandant de la flotte de défense.

Certains des seize vaisseaux escortaient l'Erinnic, mais la plupart s’étaient postés du côté diurne de la cinquième planète du système stellaire. Ce groupe comptait un croiseur calamarien de classe Médiateur, deux croiseurs-transporteurs de classe Quasar, trois frégates et cinq canonniers de classe Ranger. Tous ceux qui sortaient de l’hyperespace en provenance du secteur tenu par les Yuuzhan Vong entreraient dans l’Amas du Joyau du côté de la Bordure. On espérait que cette tactique, cachant une partie de la flotte, améliorerait l’élément de surprise.

Poinard s’arrêta au-dessus de la fosse d’équipage de proue.

— Des signes d’activité ? demanda-t-il à une technicienne.

— Négatif, monsieur, répondit la femme en consultant un écran. Tout est tranquille de notre côté.

— L’information venait des Renseignements.

— Encore pire ! Ord Mantell a peu de valeur stratégique.

— Et Ithor ? Et Obroa-skai ? Les Yuuzhan Vong livrent une guerre psychologique. Vous devriez le comprendre mieux que personne. Votre frère ne commandait-il pas une division d’AT-AT, autrefois ?

— Les walkers avaient leur utilité.

— En tant qu’armes destinées à terroriser les foules, rappela Sutel. Les Yuuzhan Vong essaient la même chose avec nous. Ils veulent nous démoraliser.

— Mais Ord Mantell… Les seuls qu’ils terroriseront seront les joueurs et les touristes !

— Amiral Poinard, intervint la technicienne, les postes avant signalent l’arrivée de bâtiments ennemis. Leur profil et leurs performances indiquent qu’il s’agit de vaisseaux de guerre yuuzhan vong.

Poinard se tourna vers la fosse d’équipage de poupe.

— Alerte ! Tout le personnel non essentiel est confiné dans ses quartiers. Activez les moteurs subluminiques et approchez-nous au plus près de la lune numéro deux. (Il se tourna vers la technicienne de la fosse de poupe.) Combien de vaisseaux ?

— L’équivalant de deux corvettes, cinq frégates, trois croiseurs légers et un vaisseau de guerre.

Quelqu’un prit la parole derrière les deux vétérans.

— Messieurs, les commandants des chasseurs annoncent que le déploiement est terminé. Ils attendent le mot d’ordre pour attaquer.

Une holoprojection du terrain d’opérations apparut au-dessus d’une table lumineuse, dans la fosse de poupe. Poinard et Sutel l’examinèrent.

— Nous voilà à égalité, pour une fois, dit le général.